21 JANVIER 1793 : MORT DE LOUIS XVI DDEBUT DU MARTYR FRANCAIS

Publié le par michel baran

1Né le 23 août 1754, Louis Auguste succède à son “Bien-Aimé” grand-père sur le trône de France et de Navarre le 10 mai 1774. Il a épousé l’archiduchesse d’Autriche Marie-Antoinette le 16 mai 1770, consolidant ainsi l’alliance nouée avec les Habsbourgs en 1756, lors de la guerre de Sept Ans. Le traité de Paris mettant fin à ce conflit est considéré comme une humiliation nationale infligée par la Grande-Bretagne. La rébellion des colons américains contre la tutelle de ce dernier Royaume permet au jeune souverain de prendre sa revanche sur la paix de 1763.

 

* 1 Le comte de Provence, frère de Louis XVI, devient roi de France grâce à l’appui des puissances (…)

 

2En soutenant l’instauration d’une république outre-Atlantique, il déclenche la guerre contre son rival George III, roi depuis 1760. Ratifié par les deux belligérants le 3 septembre 1783, le traité de Versailles met fin aux hostilités. Or, dès le 1er février 1793, la guerre éclate de nouveau entre les deux ennemis héréditaires, à l’instigation de la France républicaine. La fin des combats, interrompus par des traités de paix à l’existence éphémère, est annoncée par l’abdication de Napoléon Ier le 6 avril 18141.

 

3L’apaisement des relations franco-britanniques durant la décennie de paix, dont témoigne officiellement le traité de commerce de 1786, correspond à des situations intérieures troublées. L’opinion britannique, divisée par la célébration du centenaire de la “Glorieuse révolution” de 1688, l’est plus encore par les événements français. Les diverses étapes de l’ébranlement, puis de la destruction de la monarchie en France, suivent celles que ce régime a connu en Grande-Bretagne, un siècle et demi auparavant.

 

4L’exécution de Louis XVI le 21 janvier 1793, reflet de celle de Charles Ier le 30 janvier 1649, rend cette analogie plus sensible encore. En outre, le statut et le pouvoir du souverain Bourbon ont été transformés par la Révolution française. Les bouleversements sociaux, politiques et idéologiques qui l’accompagne ont ravivé, outre-Manche, les débats sur les pouvoirs respectifs du monarque et des Communes, la virulence des sectes dissidentes et les attaques d’une puissante opposition.

 

5Les Rights of Man de Thomas Paine et les Reflections on the Revolution in France, and on the proceedings of some societies in London, related to that event d’Edmund Burke en sont la conséquence. L’évolution idéologique de ce dernier, whig voulant réformer le régime monarchique dont il devient ensuite l’un des plus ardents défenseurs, n’est pas isolée. Ce phénomène aboutit à la formation d’un mouvement conservateur hétéroclite, dont l’activité est encadrée par les nombreuses associations loyalistes fondées à partir de la fin 1792 dans tout le royaume britannique.

 

6La sacralité du roi étant au cœur de cette pensée politique, les événements survenus à Louis XVI y sont évoqués. Leur dénouement a intensifié la peur face à la contagion des idées révolutionnaires venues de France, défendues par Thomas Paine et ses amis radicaux. Ces partisans de la République, leurs adversaires et le régime monarchique expriment et diffusent leurs idées, par l’intermédiaire de la presse, de publications diverses et de la production iconographique.

 

Le corpus : définition et analyse d’ensemble

 

7Du 10 mai 1774 au 6 avril 1814 ont été produits 457 documents et objets sur lesquels Louis XVI est personnellement présent, ou mentionné par allusion dans le contenu, la légende et le titre2. Cette présence allusive, évocation indirecte mais essentielle de son image, a été intégrée au corpus. Diversifiée en termes de supports, cette iconographie se compose de 11 médailles, 3 médaillons de Wedgwood, 5 tissus, 9 terres cuites, 14 dessins et 412 estampes, 71 de ces dernières illustrant un écrit3. Les documents papier sont de belle qualité, ceux dont la dimension n’excède pas 100 cm², plus nombreux en début de règne qu’ensuite, n’en totalisent que 12%.

 

* 2 Ce chiffre ne concerne que les documents conservés de nos jours. Il faut en effet tenir compte des (…)

 

* 3 Le mobilier et les tableaux, produits à l’unité ou à quelques exemplaires, leur prix de vente l (…)

 

8Les auteurs sont Britanniques, Irlandais, Italiens, Allemands, Hollandais, Américains et Français. Centre artistique européen où l’intégration professionnelle est aisée, Londres a en outre l’avantage d’être un asile sûr pour ces derniers, la Grande-Bretagne n’ayant pas signé de traité d’extradition avec leur pays d’origine. Exilés du début de règne et royalistes fuyant la Révolution, qu’ils soient membres de la famille royale, anciens ministres ou artistes, affluent sur le territoire britannique. Ils traduisent leurs conceptions idéologiques et politiques dans leurs œuvres, dont le nombre et la nature sont affectés par les événements intérieurs des deux côtés de la Manche et les rapports de force internationaux.

 

* 4 The Cruel Massacre of the King and Queen of France, édité à Londres par A. Hambleton, probablement (…)

 

9Ainsi, 6 de ces émigrés choisissent de publier leurs Mémoires, qui s’ajoutent à la production britannique de magazines, brochures et ouvrages d’Histoire. Seuls les pamphlets du début de règne et la biographie de Louis XVI publiée en 1797 ont exclusivement paru en français. Les autres ouvrages ont également été publiés en anglais, leurs auteurs bénéficiant d’un réseau de traducteurs et d’éditeurs spécialisés. Le public de ces œuvres était aussi varié que la production, d’une brochure de 36 pages vendue 4 pence à un luxueux livre de trois tomes reliés en cuir, à tranche dorée, comportant 1534 pages et vendu 2 livres 2 shillings4.

 

* 5 Catalogue of Prints, published by Mariano Bovi, Engraver and Print-Merchant, n° 12, Piccadilly, Lon (…)

 

10Les estampes illustrant ces 34 écrits sont de divers genres, comme les feuilles volantes et les objets. Les Britanniques privilégient les satires et caricatures, qui totalisent 33,5% du corpus, les portraits 32%, les scènes historiques 27,5%, l’allégorie et le symbole 8%. Hormis les premières, traditionnelles en Grande-Bretagne, les autres genres sont marginaux dans l’iconographie, ce que met en évidence le catalogue de vente de Mariano Bovi5.

 

11Celui-ci constitue l’un des rares documents d’éditeurs conservés, leurs correspondances avec les auteurs sont rares et ne permettent pas de préciser les conditions de production. Les livres de compte et les listes de souscripteurs, à l’exception de celles jointes à certains écrits, ont disparu. Les publications étaient variées en termes de prix de vente, de satires à 6 pence en noir à 4 shillings en couleur, de portraits à 1 shilling en noir aux scènes historiques à 2 livres 2 shillings en couleurs publiées par Bovi.

 

12Les magasins, lieux privilégiés de rencontres et d’échanges, étaient prisés par les Londoniens. Situés au cœur politique et culturel de la cité, ils avaient plusieurs moyens de faire connaître leurs publications. L’entrée de ces magasins coûtait 1 shilling et de nombreuses gravures étaient affichées à l’intérieur, alors que certaines l’étaient sur les vitrines, face vers l’extérieur. De plus, des folios de documents reliés pouvaient être loués pour la soirée au même prix que le droit d’entrée. Enfin, certaines associations politiques et tavernes en faisaient l’acquisition et les présentaient à leurs adhérents et clients, ces images étaient alors placardées aux murs des établissements.

 

* 6 Jeremy Black, The English Press in the Eighteenth Century, Philadelphie, University of Pennsylvania (…)

 

13Pour la presse, Jeremy Black avance le chiffre d’un journal acheté pour 30 lecteurs6. La diffusion et l’impact de l’iconographie a probablement été plus importante, bien que difficile à évaluer. Les reports sur divers supports, en particulier sur des pichets et tasses utilisés dans les tavernes et clubs, témoignent du succès de certains documents. Ceux favorables à la Révolution se raréfient à partir du milieu des années 1790, alors que ceux loyalistes fleurissent dès 1792. On assiste à un repli conservateur de la société britannique dans lequel les gravures et objets hostiles aux divers régimes français ayant succédé à la monarchie jouent un rôle essentiel.

 

14Ces évolutions chronologiques sont sensibles quand on étudie les dates de référence des documents et objets, 56% d’entre eux évoquant un événement précis. Il s’est déroulé entre 1789 et 1793 pour 77% des références, dont 35% pour cette seule dernière année. Les éditeurs ont rapidement produit leurs documents et objets, 54% ayant paru l’année de l’événement représenté.

 

15Les Britanniques ont préféré le commentaire à vif des événements, en utilisant principalement les scènes historiques, qui totalisent 47,5% des références avec 117 documents et objets, dont 83 pour 1793. Ce genre, apparu lors des journées d’octobre 1789, absent en 1790, est majoritaire entre 1792 et 1795. Il disparaît ensuite pour laisser place aux satires, qui ont dominé en 1774, 1778, 1779, de 1782 à 1791 et de 1796 à 1814. Elles représentent 41% des références, avec 100 documents et objets, 10 d’entre eux n’ayant pas été publiés l’année même.

 

16D’autres genres sont également utilisés par les Britanniques pour représenter l’actualité politique, dont 9 documents relevant de l’allégorie et du symbole. De plus, les plus élégantes et élaborées des scènes historiques sont accompagnées de clefs représentant les divers personnages en les identifiant. A ces 9 gravures s’ajoutent 5 portraits surmontant une scène historique et 3 relatives à Jacques Necker et à son “Compte-Rendu au Roi” de 1781. Enfin, 2 scènes galantes se réfèrent à un bal donné en 1777.

 

* 7 Les attitudes sont évoquées dans leur ensemble, leur répartition chronologique étant mentionnée ens (…)

 

17Qu’elle soit de type hagiographique ou plus modérée, la faveur totalise 166 documents et objets, soit 67,5% des références. La neutralité ou l’ambiguïté sont présentes sur 16 documents et objets, la condamnation violente sur 18, soit 7% des références, et la critique plus discrète sur 46. L’hostilité représente donc 26% des 246 dates de références7. En confrontant ces résultats avec ceux des dates d’édition, on perçoit des convergences et divergences.

 

18Certains genres tels que l’allégorie, le symbole et le portrait sont peu utilisés pour se référer à un événement. De plus, contrairement aux dates de référence, seules 1776, 1785, 1802, 1803 et 1809 ne voient aucune édition. Les 7 années comprises entre 1789 et 1796 monopolisent 69,5% des dates connues avec un total de 262 documents et objets produits, les autres années, un maximum de 10 documents et objets l’ont été.

 

* 8 Les dates incertaines d’édition totalisent 80 documents et objets, soit 17,5% du corpus.

 

19La production est moins concentrée que pour les dates de référence alors que la valorisation de Louis XVI est comparable, en proportion. Elle totalise 258 documents et objets, soit 68,5% des 377 dates connues, dominant en 1775, 1783, 1790, de 1792 à 1806, de 1810 à 1812, et en 18148. Par contre, l’hostilité totalise la plus grande part de la production de 1777 à 1780, en 1782, 1784, de 1786 à 1789, en 1791 et 1799. La neutralité ou l’ambiguïté sont prépondérantes en 1774, 1781, 1807 et 1808, s’équilibrant avec la satire en 1813.

 

* 9 La première aurait du paraître en 1793, elle se trouve au musée Carnavalet, dans les Caricatures An (…)

 

20L’émergence de genres autres que les scènes satiriques n’explique qu’en partie l’évolution des attitudes. En effet, ce dernier type de documents et objets, exclusivement hostile à Louis XVI jusqu’en 1781, ne l’est pas les deux années suivantes, puis le redevient entre 1784 et 1788. De 1789 à 1792, la critique décroît puis disparaît dans les satires, à l’exception de deux œuvres de James Gillray9. En dépit d’attitudes dominantes identiques, le délai de parution par rapport à l’événement représenté modifie la répartition chronologique de cette production iconographique.

 

21Or, l’analyse des titres met en évidence que celle-ci était prioritairement destinée au public britannique, 271 documents et objets ayant un titre exclusivement en anglais, soit 63,5% du corpus. De plus, 36 gravures sont parfaitement bilingues, 11 mêlant les deux langues sans totale équivalence des discours. Ce bilinguisme, antérieur à 1789, existe également en France, ce royaume et celui de Grande-Bretagne étant les deux premiers marchés européens pour les estampes de qualité. Celles-ci voient également l’utilisation du latin et de l’italien, “Louis” et “XVI” étant anglicisés la plupart du temps séparément.

 

22Les auteurs mentionnent rarement la titulature officielle des Bourbons, alors que la fonction régalienne et le titre correspondant aux divers membres de la famille royale de France sont présents sur 139 documents et objets. Les appellations “monarque” et “souverain” associées à Louis XVI, le “régicide” à la République et aux révolutionnaires, portent ce total à 149, soit 35% des documents ayant un titre. La sacralité de Louis XVI et de ses proches est donc discrètement évoquée par l’iconographie produite en Grande-Bretagne. Les auteurs et éditeurs représentent un homme plus qu’un dirigeant, le rendant ainsi plus proche de leur public.

 

* 10 Il est au cœur de 67% du corpus, accompagné de sa famille sur 46%, les troupes figurant sur 29% et (…)

 

23Or, le roi de France et de Navarre n’est pas le seul personnage mentionné dans une iconographie dont il est pourtant, la plupart du temps, le centre. Il est accompagné, en premier lieu, des membres de sa famille, puis de troupes et du peuple, français ou britannique10. Les autres individus ou groupes présents ne le sont que ponctuellement, essentiellement sur des satires. Les auteurs et éditeurs de Grande-Bretagne privilégient les hommes politiques et les militaires, ainsi que les dirigeants de leur Royaume, à ceux de France.

 

L’image de Louis XVI du 10 mai 1774 au 6 avril 1814

 

24De par sa fonction et son destin, Louis XVI a vu la nature de son pouvoir changer, être contestée puis condamnée, et disparaître. Devenu roi de France et de Navarre le 10 mai 1774, il reste monarque absolu jusqu’en 1788, la politique internationale dominant la production. 1789 le transforme en monarque d’une France en Révolution, ses prérogatives sont limitées par les lois votées à l’Assemblée nationale. Ces événements, jusqu’à la destitution du 10 août 1792, focalisent l’attention des Britanniques.

 

25Le monarque déchu est ensuite emprisonné, traduit en justice, condamné à mort, puis exécuté le 21 janvier 1793, et l’iconographie se recentre sur lui. Or, les six mois représentés du 10 août 1792 au 21 janvier 1793 totalisent 125 documents et objets, les deux ans et demi de la période précédente en comprennent 87 et les quatorze ans et demi s’étant écoulés du 10 mai 1774 à décembre 1788 seulement 67. La mort de Louis XVI est le fait majeur de la période, dont on trouve l’écho dans les événements antérieurs et postérieurs. L’image posthume du souverain voit une nouvelle diversification des sujets et thème abordés, ainsi que des genres utilisés, les portraits totalisant 96 des 178 documents et objets produits jusqu’au 6 avril 1814.

 

26Quarante ans plus tôt, les auteurs et éditeurs britanniques ont présenté à leurs compatriotes les traits physiques de Louis XVI sur des portraits, lors de son accession au trône. Les articles que ces estampes illustrent mettent en évidence les faiblesses et qualités du jeune monarque en tant qu’être humain et que dirigeant politique. Ces dernières sont également soulignées dans les allégories ornant les œuvres polémiques de Français, publiées à Londres. Ces ouvrages critiquent le despotisme de la monarchie française alors qu’ils font un éloge enthousiaste de son nouveau représentant.

 

ILLUSTRATION N°1

 

Scène symbolique illustrant les « Mémoires sur la Bastille » de Linguet, publiés à Londres en 1783. © Conservateur du Cabinet des Arts graphiques du musée Carnavalet.

 

27Cette valorisation est plus discrète sur la belle manière noire éditée quatre jours avant la signature du traité d’alliance entre la République des Etats-Unis et le Royaume de France. L’entrée en guerre de ce dernier, que les satiristes avaient anticipée, est condamnée, bien que Louis XVI ne soit qu’une cible parmi d’autres pour une iconographie majoritairement loyaliste. Les partisans de George III sont hostiles à ce qu’ils considèrent comme une ingérence dans une affaire interne à leur royaume. Leur critique reste pourtant moins virulente que celles de Louis XIV et Louis XV respectivement lors de la guerre de Succession d’Espagne et de la guerre de Sept Ans.

 

28La satire traduit ces rivalités géostratégiques et leurs implications sur le territoire de la Grande-Bretagne. Elle attribue, de plus, au souverain français une part active au Partage de la Pologne, des liens avec une Opposition qu’elle accuse de haute-trahison et la volonté d’utiliser les innovations techniques à des fins militaires. Cette iconographie dénonce également les ambitions françaises en Hollande et l’alliance avec la Turquie.

 

29Le traité de commerce conclu entre la France et la Grande-Bretagne un an avant ces derniers événements, n’apaise pas les esprits. La plupart des Britanniques ressentent cet accord comme une menace sur l’avenir économique et politique de leur Royaume. Les radicaux, dont l’éditeur William Holland, craignent particulièrement la contagion du despotisme et du catholicisme français.

 

30Les mœurs supposées légères de Marie-Antoinette sont dénoncées dans un pamphlet de 1789, dont la parution à Londres n’est peut-être que fictive, et qui met en doute la légitimité de l’héritier de Louis XVI. Le protestant que ce dernier a nommé au poste de Surintendant des Finances est représenté avec son “compte-rendu au Roi”, rendant publics les comptes du Royaume. La faillite de la Caisse d’Escompte en 1783 et le déficit de 1788 sont raillés, alors que le soutien monarchique à Pilâtre de Rozier et à son expérience aérostatique est valorisé. La politique intérieure de la France est donc un sujet marginal jusqu’en décembre 1788, ce que les événements survenus l’année suivante modifient.

 

31C’est pourtant le débat sur la Régence du prince de Galles ayant eu lieu au Parlement britannique en janvier qui constitue le premier sujet historique sur lequel Louis XVI soit représenté. Cette crise politique permet aux auteurs de faire des analogies entre les situations des deux côtés de la Manche. Les whigs et les radicaux soutiennent le prince, Pitt et ses partisans s’opposant à la suspension de George III. Ces luttes politiques internes trouvent un écho dans l’interprétation de la Révolution et se traduisent dans l’image du roi de France.

 

32Les Etats généraux sont violemment ridiculisés par Holland, qui interprète leur convocation comme une duperie de Marie-Antoinette, dont l’époux et les représentants des Trois Ordres sont les “cocus.” Quelques jours plus tard, le portrait illustrant l’ouvrage géographique et historique de Percival Barlow est publié. L’écrit, comme les documents iconographiques et objets, éprouve un vif enthousiasme pour la chute de la Bastille, représentée par des allégories sur tissu et des satires sur papier. Parmi ces derniers documents, celui de Gillray vante le souverain alors que celui édité par Holland s’inquiète de l’influence de la reine et du comte d’Artois.

 

33L’élan national de sympathie laisse rapidement place à l’inquiétude, William Dent anticipant la mort du roi dès le 25 juillet. La satire sur la nuit du 4 août, tout en condamnant la famille royale et les premiers émigrés, diabolise pour la première fois la Révolution. Les mouvements populaires provoquent en effet crainte et méfiance, ce que traduisent les choix de représentation sur les journées d’octobre, dont les satires, majoritairement en faveur de Louis XVI. De plus, l’apparition des premières scènes historiques met en évidence la prise de recul des auteurs et éditeurs britanniques face aux événements.

 

34Ils prennent conscience de leur importance pour l’avenir de la monarchie en France. Les loyalistes mettent la sacralité du souverain en lumière, en le montrant, pour la première fois, revêtu de son costume d’apparat. L’article que ce portrait accompagne souligne que l’impact de la Révolution de France dépasse les frontières de ce pays, concernant toute l’Europe et même l’ensemble du monde. Ce document clôt 1789, “l’année révolutionnaire” à laquelle succède une “année calme.”

 

35Le portrait de Marie-Antoinette, sur lequel son époux est mentionné, est publié le 18 janvier. Le lendemain, une satire célèbre la politique du roi français, en condamnant dans son pendant celle de Pitt en Grande-Bretagne. En ce début 1790, Louis XVI a donc une bonne image outre-Manche. L’inquiétude concernant son avenir et celui du régime monarchique persiste tout de même, ce dont témoigne “Who kills first for a Crown” en mai. Par contre, la perte de pouvoir du souverain français et son rôle déclinant dans la politique internationale sont raillés sur la satire représentant le contentieux entre les flottes britannique et espagnole à Nookta Sound. Celle-ci a été éditée le jour de la Fête de la Fédération.

 

36Or, l’union nationale du 14 juillet est dénoncée comme fausse et irréaliste dans une satire sur le vif et une reconstitution historique tardive. La première dénonce la duplicité du souverain et la seconde vante son action. Cette attitude est adoptée par les allégories retranscrivant l’événement sur métal et sur porcelaine. La sincérité du souverain français face à l’évolution de son pouvoir est par contre mise en doute, de façon virulente, par Isaac Cuikshank, en août. William Holland préfère adapter en novembre des estampes françaises célébrant l’accord des Trois Ordres soudés autour du régime monarchique et de celui qui l’incarne.

 

37Le portrait illustrant la Vie de Louis XVI, dont la parution à Londres n’est pas certifiée, adopte une attitude plus ambiguë. Les élégants médaillons produits par Josiah Wedgwood, qui mettent en évidence l’existence d’un marché composé de clients aisés, Britanniques et Français, valorisent le roi. La publication des Reflections on the Revolution in France d’Edmund Burke en cette fin d’année provoque en janvier 1791 la parution d’une satire. Celle-ci dénonce le loyalisme d’un ouvrage dont le contenu porte atteinte aux libertés civiques acquises, en défendant les privilégiés, alors qu’en France le souverain laisse la Révolution suivre son cours.

 

38Les tensions en Europe centrale incitent les caricaturistes à stigmatiser la perte de prestige international du roi français. Celui-ci est, en outre, représenté sur un portrait le 1er juin, revêtu de son manteau de sacre, portant le titre de “King of the French. Restorer of their Liberties”, que lui a décerné l’Assemblée nationale. Mais sa popularité est remise en cause par la tentative avortée de fuite et l’arrestation de Varennes, représentée à Londres dès le 26 juin. Il est désacralisé par certains Britanniques, dont Holland qui utilise les stéréotypes antérieurs de l’alliance avec le Pape et le Diable pour exprimer sa condamnation.

 

39C’est la dernière fois que cette association est représentée, ne l’ayant été qu’à deux reprises pendant la guerre d’Indépendance américaine. Retranscrit rapidement par la satire, le 21 juin est mal perçu par la majorité des auteurs, même si leur désapprobation n’est pas toujours virulente. Elle laisse parfois s’exprimer de l’inquiétude et de la compassion envers le monarque et sa famille. Celles-ci sont, en outre, retranscrites par les scènes historiques ayant paru après le 21 janvier 1793, l’estampe de ce type publiée en 1792 adoptant une attitude neutre.

 

ILLUSTRATION N°2

 

Scène historique représentant Louis XVI à Varennes le 21 juin 1791, éditée à Londres le 7 mai 1794. © Photothèque des musées de la ville de Paris.

 

40Le 14 septembre 1791, Louis XVI signe la Constitution et lui prête serment, ce qui donne lieu à une estampe et une médaille allégoriques. Les auteurs se servent de ce dernier genre pour mettre en lumière ce qu’ils considèrent comme un événement durable et déterminant pour les institutions françaises. Mais 1792 assombrit cette note optimiste, William Dent soulignant le danger que représente “The Spirit of Democracy” pour les souverains européens, le français étant piétiné par ses homologues. L’auteur est plus sévère encore à l’égard de ce dernier sur la satire anticipant la guerre.

 

41La poltronnerie des troupes françaises face aux Autrichiens, en mai, est mise en lumière, comme l’est le manque de conciliation de Catherine II et de François II. Louis XVI, lors de l’invasion du palais des Tuileries, n’est plus à la tête que d’”A Limited Monarchy”, dont la survie est menacée, ce que prouve le 10 août. La peur que suscite la chute de la monarchie chez le souverain britannique et son Premier ministre est raillée par Holland, alors qu’en 1795 Crosby se contente de présenter la foule se dirigeant vers le palais. La variété des attitudes ne dépend pas uniquement des opinions politiques de ceux ayant produit ces documents, Gillray et Holland étant à l’origine de satires aux contenus contradictoires.

 

42La perplexité des auteurs et éditeurs britanniques face aux événements et à leur interprétation ne s’exprime plus, ensuite, dans l’image de Louis XVI. Celle-ci se fige lors de l’incarcération au Temple de la famille royale, en dépit de rares attaques. La première vient de Gillray, qui raille le pouvoir perdu du monarque et anticipe sa décapitation sur la scène satirique représentant les sans-culottes se régalant des cadavres de septembre.

 

43Les travaux au Temple, qui nécessitent le transfert de l’ancien roi de France le 29 et l’isolent de sa famille, sont retranscrits par d’élégantes estampes. Celles-ci se focalisent sur la séparation des prisonniers, la plupart d’entre elles reproduisant une toile de Charles Benazech. Ces scènes d’affliction ont paru après le décès de Louis XVI, une image très favorable de celui-ci se met donc en place. Elle se poursuit en évoquant la rédaction de son testament sur des documents édités en 1798.

 

44Cette dernière année voit, en outre, la parution à Londres de l’ouvrage de Jean-Baptiste Hanet-Cléry, dont l’une des versions est ornée de “La famille royale se promenant dans le jardin du Temple, et Cléry y jouant avec le Dauphin.” Ce dernier, sa sœur et leur père sont également représentés sur des portraits pendant cet emprisonnement et avant le 21 janvier 1793. Un document montre “L’infortuné Louis XVI dans le costume qu’il portait durant sa détention au Temple.” Les estampes de ce type oscillent entre éloge modéré et enthousiaste d’un homme dont la sacralité est parfois soulignée.

 

45En décembre 1792, une satire critique violemment les potentats européens, Louis XVI étant à terre et avalant les étrons d’un âne. L’autre document de ce type publié ce même mois valorise, par contre, un roi agenouillé qui offre la couronne de France à une Liberté dégénérée et sanguinaire. Cette condamnation sans appel de la République française se poursuit sur les élégantes gravures relatives à la comparution du monarque destitué devant la Convention le 26. Produites en 1796, elles renvoient une image très favorable de l’accusé, comme les scènes historiques représentant la séparation du 20 janvier 1793.

 

46La supposée tentative d’évasion du Dauphin ce jour-là, évoquée sur une estampe, est plus modérée. Les autres documents sur papier sont centrés sur Louis XVI, entouré des membres de sa famille. Ces derniers expriment leur douleur alors qu’il affiche un calme résigné, son martyre étant anticipé par les jeux de lumière. Seules Marie-Antoinette et Madame Royale font preuve, sur quelques gravures, d’une force de caractère comparable. Le nombre et la place des divers protagonistes varient, Cléry et Edgeworth étant parfois intégrés à la composition, ainsi que les représentants de la Commune et les troupes servant au Temple.

 

ILLUSTRATION N°3

 

Scène historique représentant le 20 janvier 1793, publiée à Birmingham le 1er janvier 1795. © Photothèque des Musées de la Ville de Paris.

 

47Les reports sur porcelaine et métal témoignent du succès d’une production abondante, d’estampes de dimensions moyennes et de qualité d’exécution peu élaborée à une médaille en or. Ces documents et objets mettent en évidence un drame humain, pour émouvoir les Britanniques. Produits dès le 5 février 1793, ils permettent d’évoquer la décapitation du 21 janvier sans la montrer. Quand celle-ci l’est, les choix de représentation sont plus larges et correspondent à la chronologie de l’événement. Charles Benazech montre le condamné au pied de son échafaud, il apparaît ensuite sur l’estrade, seul ou entouré de diverses personnes, s’adressant une ultime fois aux Français.

 

ILLUSTRATION N°4

 

Tableau danois représentant le 21 janvier 1793, copiant la vignette d’un placard publié à Londres début 1793. © Photothèque des Musées de la Ville de Paris.

 

48Puis, les préparatifs se précisent, ses mains sont liées, il est allongé sur la planche et le couperet de la guillotine tombe. Les satires retranscrivent également cette matinée et son déroulement, qu’elles interprètent comme les scènes historiques, véhiculant les mêmes valeurs que les documents et objets relatifs aux adieux. Isaac Cruikshank et James Gillray ont d’ailleurs représenté les deux événements, le second l’étant sur des estampes loyalistes et le premier ayant abouti à des choix divergents de leur part.

 

49Gillray, sur une scène satirique n’ayant jamais été publiée, montre celui qui a régné sur la France en pleutre faisant dans sa culotte et buvant du vin pour se donner du courage. Par contre, Cruikshank, bien qu’étant l’auteur de la virulente satire de décembre 1792 sur les souverains européens, représente une scène historique, dont le contenu correspond à celui des autres documents de ce type. Il traduit l’exécution de même, ainsi que par des satires, dont certaines transgressent le tabou visuel que constitue la tête décapitée de Louis XVI. Parmi celles-ci, « The Martyr of Equality » a connu un grand succès, d’où son report sur céramique.

 

ILLUSTRATION N°5

 

Scène satirique sur le 21 janvier 1793, éditée à Londres le 12 février 1793. © Photothèque des musées de la ville de Paris.

 

50Il en est de même des divers placards publiés par William Lane, qui ont également été reproduits sur ce support et sur une boîte à mouches, et ont été recopiés au Canada et au Danemark. Toute la production relative au 21 janvier 1793 condamne la République française et valorise le souverain exécuté, quel que soit le genre utilisé par les auteurs. William Holland, emprisonné pour avoir fait paraître des œuvres de Thomas Paine, fait de même, Hannah Humphrey allant jusqu’à éditer certaines œuvres « pro bono publico. »

 

51Après son décès, le défunt monarque est intégré au sort des membres de sa famille, dont les conditions de détention et l’affliction sont soulignées le 24 janvier. La séparation du Dauphin de sa famille, puis les exécutions de Marie-Antoinette et de sa belle-sœur provoquent une nouvelle vague de sympathie en Grande-Bretagne. La libération de Madame Royale en 1795 est saluée, la jeune fille étant la seule survivante du Temple. Elle fait d’ailleurs l’objet de portraits où son père apparaît soit sur le médaillon pendu à son cou, soit par allusion.

 

52Il figure de ces deux façons sur les documents représentant sa femme et sa sœur, alors qu’il ne l’est pas par la dernière sur ceux relatifs respectivement au Dauphin, au comte de Provence, à Calonne, Cléry, Edgeworth et Estaing. Ces portraits mettent en évidence les liens l’unissant à ses proches, dont l’image prolonge la sienne. Il est, par contre, le personnage exclusif de nombreux documents de ce dernier genre, dont certains proviennent d’écrits. Ces derniers se répartissent en ouvrages d’émigrés relatant les événements français, périodiques variés, brochures et livres sur l’Histoire de France produits par des Britanniques.

 

ILLUSTRATION N°6

 

Portrait de Louis XVI, édité à Londres entre 1793 et 1814. © Conservateur du Cabinet des Arts graphiques du musée Carnavalet.

 

53Les documents iconographiques sur papier perpétuant le souvenir du monarque sont tous vendus sur feuille volante. Comme celui reporté sur une tasse, ils sont de type allégorique ou symbolique et placent le défunt au cœur de la composition, seul ou accompagné des membres de sa famille. Ils sont représentés dans l’au-delà, des prières et des sépultures leur sont offertes, puis sont évoqués par leur thème astral et leurs silhouettes. De plus, le symbole se mêle parfois à la satire pour condamner le régicide.

 

ILLUSTRATION N°7

 

Scène allégorique sur la mort du Dauphin, éditée à Londres le 1er janvier 1800. © Photothèque des musées de la ville de Paris.

 

54Thème récurrent dans l’image posthume de Louis XVI, il est mentionné lors des négociations de paix de 1796, 1801, 1814 et des opérations militaires. Il l’est également quand les régimes ayant succédé à la monarchie française, dénoncés comme diaboliques et sanguinaires, apparaissent sur les documents. La tête décapitée de Louis XVI accentue le sentiment d’horreur face à l’événement et à ses conséquences, intérieures et internationales. La parution de ces caricatures et satires s’imbrique avec celle des documents et objets d’autres genres.

 

55Jusqu’en 1797, elles sont noyées sous le flot de ceux relevant de l’allégorie et du symbole, des scènes historiques et des portraits. A partir de 1798, elles redeviennent parfois le type dominant, sans égaler l’importance qu’elles avaient du 10 mai 1774 au 10 août 1792. Le roi de France n’est que ponctuellement évoqué dans les caricatures et satires produites en Grande-Bretagne après sa mort. Le nombre de celles-ci augmente d’ailleurs considérablement avec l’accession au pouvoir de Napoléon.

 

56L’iconographie du monarque français défunt se révèle plus modérée que celle relative aux six derniers mois de son existence. Mais, en dépit de cette modération, elle témoigne de l’intérêt durable que lui portent les Britanniques et de la faveur dont il jouit auprès d’eux. L’appartenance politique des auteurs et éditeurs ne modifie en rien ce constat, la critique disparaissant, hormis sur une estampe de Gillray. L’image de Louis XVI s’est figée, elle transcende les enjeux géostratégiques, idéologiques et politiques entre la France et la Grande-Bretagne. Le souverain exécuté incarne, pour les Britanniques, l’humanité souffrante, l’Homme victime d’un sort funeste immérité.

 

ILLUSTRATION N°8

 

Caricature sur le désastre d’Aboukir le 1er août 1798, éditée à Londres le 1er novembre 1798. © Bibliothèque nationale de France.

 

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Notes

 

1 Le comte de Provence, frère de Louis XVI, devient roi de France grâce à l’appui des puissances coalisées, dont la Grande-Bretagne. Après une année de règne, il est renversé par le retour de Napoléon du 21 mars au 23 juin 1815. Cet ultime épisode de la guerre contre Bonaparte, qui interrompt brièvement la Restauration, n’a pas été retenu dans cette chronologie, le contexte étant différent de celui des années 1793 à 1814 et se rattachant à la période suivante, celle de la monarchie constitutionnelle, qui prend fin en 1848 et n’est étudiée qu’à titre comparatif.

 

2 Ce chiffre ne concerne que les documents conservés de nos jours. Il faut en effet tenir compte des disparitions, surtout pour les estampes de faible valeur marchande et pour celles illustrant des magazines ayant un tirage limité.

 

3 Le mobilier et les tableaux, produits à l’unité ou à quelques exemplaires, leur prix de vente les destinant à un public très restreint, n’ont pas été retenus.

 

4 The Cruel Massacre of the King and Queen of France, édité à Londres par A. Hambleton, probablement en 1793, se trouve à la British Library sous la référence 9226.e.9.

 

Mémoires concernant Marie Antoinette, archiduchesse d’Autriche, reine de France et de Navarre, de Joseph Weber, édités à Londres entre 1804 et 1809 par J. Weber, Da Ponte, Schulze et Vogel, se trouve à la British Library sous la référence 181.b.13-15.

 

5 Catalogue of Prints, published by Mariano Bovi, Engraver and Print-Merchant, n° 12, Piccadilly, London, 1802, se trouve à la British Library sous la référence Add 33397.f.153.

 

6 Jeremy Black, The English Press in the Eighteenth Century, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1987, 321 p.

 

7 Les attitudes sont évoquées dans leur ensemble, leur répartition chronologique étant mentionnée ensuite, dans la partie 2.

 

8 Les dates incertaines d’édition totalisent 80 documents et objets, soit 17,5% du corpus.

 

9 La première aurait du paraître en 1793, elle se trouve au musée Carnavalet, dans les Caricatures Anglaises. La seconde a été publiée en 1799, elle se trouve sur le vidéodisque laser des collections révolutionnaires de la Bibliothèque nationale, sous le numéro 9834 et au British Museum, dans la collections des Satires et Caricatures, sous le numéro 9410.

 

10 Il est au cœur de 67% du corpus, accompagné de sa famille sur 46%, les troupes figurant sur 29% et le peuple sur 24% des 457 documents et objets.

 

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Pour citer cet article

 

Référence électronique

 

Marina Bujoli, « Louis XVI dans les documents iconographiques et objets produits en Grande-Bretagne », Rives méditerranéennes [En ligne], Jeunes chercheurs 2005, mis en ligne le 01 août 2008, Consulté le 21 janvier 2010. URL : http://rives.revues.org/2563

 

http://rives.revues.org/2563

Publié dans HISTOIRE

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